03/08/2007

Le monde selon un barman #2

C'est un jour de fête. Bon an, mal an, je célèbre aujourd'hui ma 16 ème année de service. De ma job de commis débarasseur au Café de Paris que j'ai quitté en trombe à 17 ans, jusqu'à mes veillées de barman aguerris j'ai fini par devenir complètement indifférent aux vies insignifiantes de beaucoup de clients. Je suis un peu comme une vieille pute: je comprends qu'au prix que ça coûte une brosse de nos jours, on s'attend à se faire sucer, mais je suis d'une efficacité redoutable, je fais ça vite...pis tu vas revenir. Le reste, j'en ai rien à battre. Problèmes de dopes, enfance difficile, vie sexuelle inexistante, peu d'éducation, b.s., who cares.

Sauf si j'ai affaire à un cave.

À chaque fois je m'étonne de constater à quel point je suis sensible à ça. Pourtant, j'ai tout vu me semble. Le gars chaud, la chemise à moitié dehors qui essaie de se servir lui-même une pinte, l'autre épais qui me volle une caisse de 24 de vides. Ou bien la grosse poufiasse, juste trop auburn, qui se vante de ses bagues à 10 000$. L'ancien militaire de 5 pied 4" avec un ego de 6'2", qui tourne et tourne et tourne encore, espérant une jeune femme fraîche. L'orbite déclinante du régulier en amour avec la serveuse, la punkette qui s'imagine que je ne verrai jamais qu'elle a un 1.18 litres de Wildcat en-dessous de la table. Le zouf de 19 ans qui pense qu'avoir l'air adulte c'est avoir l'air bête, les airs bêtes, les avocats, les parvenus, les faux bourgeois, les trendy, populaire, chicks de luxe et autre maudits insigifiants qui n'en reviennent pas de vieillir.

Après quelques années, je vous jure qu'on a l'impression que la terre est peuplée d'épais. C'est pas très long qu'on se dit que c'est le cas et là...et là...ça devient lourd.

Je suis un optimiste, la socio et l'anthropo, ça me vient naturellement. Dans mes heures les plus noires, alors que la rumeur de mes clients saouls me suce du Q.I., j'ai fini par développer une hypothèse!

On connait tous la théorie de l'évolution, non? le créationnisme dîtes-vous? ah, si Dieu a créé autant de zoufs et de mottés, il est dans le trouble vu qu'il les a faits à son image.

La théorie de l'évolution, la loi du plus adapté. Le plus fort, celui qui s'adapte le plus, survit jusqu'à ce que le prochain meilleur que lui arrive et le réduise à néant. Pour assurer la pérennité de l'évolution, la nature a eu la charmante idée de créer une compétition entre ses membres et pour ce faire, on y trouve des facteurs de stress qui forcent l'adaption, donc l'amélioration des espèces.

On a toujours cru que la raison avait une place spéciale et particulière dans le règne humain. Depuis les Lumières allemandes, c'est généralement entendu que le destin de l'humain rationnel est de devenir tellement raisonable qu'il atteindra la perfection, le bonheur. Kant pensait même que le secret de la conduite «absolument bonne» résidait dans son développement rationnel. Bouffon.

Comme tant d'autres aspects de la modernité, c'est une erreur lamentable! Monumentale!

J'avance que la raison et les gens biens sont en fait une minorité qui n'agit qu'à titre de stress évolutif afin d'assurer l'adaptation des épais et leur survie. Quand un cave côtoie quelqu'un d'intelligent, il change. Soit il devient intelligent et devient un stress évolutif, alors un cave a cesser d'être puisqu'il ne s'est pas adapté. Soit il développe des outils et des réponses sociales, comme des réflexes, qui lui permettent d'être socialement efficace (vivre, baiser, mourir) tout en restant complètement marteau.

Dans cette perspective, l'art qui dérange, la philosophie, la culture, l'avant-garde, les belles choses, la tolérance, tout ça ne sont que des épisodes de stress n'ayant d'autres utilités que de forcer les caves à s'adapter et à survivre.

Faut que je change de job.

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