21/08/2007

Lettre morte

On fait tous des prises de conscience. Dans mon cas, ça se présente comme le Big Bang, le temps d'une respiration. Pendant un très court instant le présent se contracte et ma conscience se limite au dehors des choses, je deviens ignorant, j'oublie tout. Juste avant l'explosion, je ne suis qu'un point fixe sans origine. Toute l'expérience amassée dans le passé m'est complètement inutile, l'avenir est sans conséquences. Au sens de l'existence, je vis à peine, mon humanité est insignifiante, réduite à un simple potentiel. J'expire et mon souffle prend de plus en plus d'espace, le temps se libère et le mouvement redevient possible avec ceci de différent que je me retrouve dans un nouvel univers. Ce monde tout neuf m'est étranger, mais il me renvoie une certaine familiarité. J'ai le même numéro d'assurance sociale, la même nationalité, tout le monde me reconnaît dans la rue, dans cette vie naissante tout le monde me renvoie à mon unique moi, sans possibilité de retour en arrière. Ça fait des années que j'ai des prises de conscience, certaines font mal, d'autres sont plaisantes ou comiques, à chaque fois je change de place, je traverse des dimensions parallèles. Crisse, je me suis toujours dit que ça devait être vraiment excitant de traverser des dimensions parallèles! Buck Rogers lui, c'est pas pareil, nenon! Lui, il a eu les femmes, les guns, les fusées, etc! Moi, j'ai eu quoi? 2 cartes de crédit loadées et des prises de conscience qui, à chaque fois, m'isolent dans mon monde. Tout seul.

C'est chien.

En songe, j'ai visité Alexandrie. Toute sa population descendait dans les rues d'un pas paresseux, quelques un s'étiraient, d'autres baillaient, ils étaient tous en robe de chambre. Au loin, j'apercevais une lueur vascillante et inégale, l'air était chaud et sec et un étrange brouillard envahissait la rue ou je me tenais. Il ne pleuvait pas, ni n'avait plu, mais le sol était humide et sombre, comme si nous marchions dans des ruisseaux d'encre. La procession s'arrêta et les dormeurs s'agglutinèrent sous un grand monument aux parois lisses et à la cime pointue. J'avais peine à voir vers l'avant tant le brouillard était épais et son odeur, comme du papier qui brûle, nuisait à ma respiration. La chaleur, oppressante et grave, ne laissait présager rien de bon. J'entrepri d'escalader le monument avec l'objectif d'atteindre l'air plus pur des hauteurs. Il ne me suffit que de quelques mètres pour apercevoir ce qui avait attiré cette population de dormeurs: La bibliothèque brûlait! Tout le savoir humain, les vies passées à réfléchir, les récits de conquêtes, plus de 1ooo tragédies d'Euripides, d'Eschyle...Sophocle en flamme! Affolé, du haut de mon perchoir j'hurlais au feu, sans conséquences. Les dormeurs se réveillaient à peine, cherchant les uns et les autres du regard. Je maudissais Dieu, espérant que dans sa colère il allait de nouveau conjurer le Déluge et éteindre le brasier. J'ai même raillé Zeus, l'accusant d'impuissance pour qu'avec ces éclairs viennent l'orage et la pluie. Rien! Ces dieux tapettes ne feraient rien. La survie de la bibliothèque ne dépendait que de moi. D'un seul bond, je pénétrai dans ce joyau de la connaissance que je visitais pour la première et la dernière fois. Armé d'une brouette je traversais les étalages à une vitesse folle tirant, sans discrimination, les volumes dans la gueule béante de ma brouette qui allait devenir la remorque de l'Histoire Universelle. Pendant de longues minutes je bravai les flammes et l'air irrespirable. Satisfait d'être allé au bout de moi-même et d'avoir rempli mon petit chariot, je sorti du brasier en courant, poussant devant moi ce qui restait du savoir humain. À l'extérieur la foule immobile m'observait avec intérêt. Pressé de faire l'inventaire de ce que j'avais pu sauver, je lu le premier titre qui s'offrait à moi: Roméo et Juliette. Pas de chance, une histoire d'amour. Je voulais du solide, pas de la romance. La Peau de Chagrin. Ah, une histoire de solitude. L'Étranger, Cent Ans de Solitude, La Loterie de l'Amour, Adieu mon amour, Adieu monde cruel, Tristan et Iseut...merde. Quel heros insipide je faisais, je n'avais sauvé que des romans d'amour et de solitude.

Je me suis réveillé avec une dangeureuse envie de pisser. J'ai regardé paresseusement l'eau souillée quitter la cuvette et je me suis dirigé en baillant vers ma machine espresso, puis vers mon bureau. J'ai ouvert mon blogue et sans aucune hésitation j'ai effacé le brouillon d'un texte sur lequel je planche depuis quelques jours sans succès. Je n'allais pas refaire la même erreur et risquer ma vie à sortir cette merde des flammes.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bacchus, tu es l'homme dissocié.
Ça fout la trouille.

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