10/11/2007

Batman

J'avais touché le vide. Je ne sais pas comment j'y étais parvenu ou pour quelle raison j'aurais pu souhaiter saisir l'insaisissable, mais, bien malgré moi me semble-t-il, j'avais atteint la cime de l'existence. Sans mobile apparent, sans excuse et sans traumatisme qui aurait donné une raison d'être à la marée d'absence derrière mon expérience du monde, que pouvais-je faire sinon me tourner vers une explication mystique? Ainsi, la réponse devenait très simple: «On» m'avait remis cette étrange existence de la même manière qu'on donne une tâche à un adolescent. On m'avait choisi parmi un infini de possibles pour figurer mon propre rôle. Très jeune, 8 ou 9 ans, je compris que «On» ne me serait d'aucune aide pour me guider à travers mon rôle d'enfant puisque la condition de mon existence était ma quête incessante d'authenticité. «On» avait caché mon MOI véritable et si je le découvrait «On» me promettait la sagesse et peut-être, avec un peu de chance, la vie éternelle. «On» a dû être déçu puisqu'en fait, il avait créé un monstre. Ratoureux, calculateur, arriviste et opportuniste, rien n'arrêtait mon ambition d'enfant-requin! La Sagesse? Rien de plus simple! J'avais déjà compris depuis plusieurs années comment être sage et j'en avais gardé le secret. Vous comprendrez alors qu'en ce qui me concerne, la véritable question était de savoir comment en profiter le plus possible. En dehors du fait que ma «sagesse» m'était fort utile à Noël alors que je récoltais les fruits d'une année à être sage, mon principal objectif était de satisfaire ma curiosité d'une autre espèce de chercheur d'authenticité: les filles.

C'est à la garderie que cette passion c'est manifestée en premier et avec elle la certitude, à ce jour inconquise, que j'étais athé. Quel est rapport dîtes-vous? C'est que la promesse de la vie éternelle m'apparaissait vraiment terne et sans intérêt à côté de la possibilité de tripoter mes petites copines de la garderie. On m'y avait pris une fois. On m'avait ensuite expliqué que c'était inconvenant, puis on m'avait puni et là, le temps d'une taloche et d'une punition, j'ai compris ce que devait être la sagesse! Elle consistait à comprendre que certaines choses était honteuses et qu'elles devaient être cachées. Plus simplement, pour être sage, il fallait jouer le jeu des géants, ceux qui faisaient la pluie et le beau temps de nos destins, la descendance de Cronos, les cronides aux pensées fourbes, c'est-à-dire nos gardiens les adultes.

Après avoir reçu ma sentence et avoir purgé ma peine, j'étais déchiré par deux envies: trouver la meilleure cachette et jouer au docteur.
Il y avait un énorme bateau dans le hall de l'établissement où on m'enseignait la sagesse. C'était comme un grand gymnase avec plusieurs objets colorés. Il devait bien avoir plusieurs couleurs, mais c'est celle de la coque de mon navire qui me revient avec le plus d'éclat: Jaune. Suis-je le seul à avoir l'impression que toute mon enfance baigne dans le jaune? Quoiqu'il en soit, je n'étais pas le plus populaire de la garderie. Pas que je n'étais pas beau, ou dérangeant, ou atteint d'une affliction particulièrement handicapante, mais on savais que j'enviais la place du capitaine et que je planifiais ma mutinerie avec soin et rigueur. Je n'avais guère le choix, celui qui occupait le poste de commandant était plus fort et plus expérimenté, je devais donc être rusé.

Le navire avait deux ponts, un seul mat et une roue mais pas de gouvernail, ce dont nous ne nous plaignions guère. Quelqu'un de moins expérimenté aurait sans doute eu la crainte de sombrer au fond des choses et d'y perdre la raison, mais nous étions jeunes et pour nous les dérives étaient choses fréquentes et sans conséquences.

Tout l'équipage, dont je faisais partie, avait eu à s'entendre sur le nom du bâtiment et c'est avec entrain que nous en discutions tandis que nos gardiens nous servaient à diner. La gardienne en chef était aussi effrayante que divine. Elle même mère de 4 petits ogres myopes dont nous nous méfiions constamment, elle avait tout les pouvoirs dont celui, terrible, de la sieste. Elle pouvait nous endormir, tous, en nous ordonnant de nous coucher sur des petits matelas bleus. Elle choisissait nos repas et nos activités et pour inciter la crainte et le respect, elle brossait constamment les restes d'une machoire humaine qu'elle appelait Oscar. Une véritable sorcière, elle savait aussi nous charmer et dissiper nos peurs et nos tracas. Après le repas, nous n'étions toujours pas d'accord sur le nom du navire et alors que nos élans devenaient de plus en plus bruyants, Calypso, notre gardienne, tenta de nous soustraire à la froide réalité de la vie de pirate et nous suggéra d'appeler notre navire «le bateau de l'amitié» ou le «voilier des amis». Promptement, nous décidâmes de le baptiser «Batman».







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