14/09/2007

Les bulletins

N'ayant pas le temps ni l'énergie de développer un argumentaire solide, j'écris ça à l'envolée en suivant propre instinct de survie intellectuelle, constamment agacé par la bêtise ambiante. C'est comme le supplice de la goûte, une niaiserie après l'autre et le monde devient lourd et aliénant. Je suis presque prêt à avouer tout ce que vous voulez si seulement quelqu'un pouvait arrêter cette torture quotidienne...

Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer pourquoi on consacre tant de place aux bulletins scolaires?

Ce matin, alors que je méditais tranquillement sur la perspective de Pierre Hadot sur les pratiques éducatives de la Grèce antique, j'ai remarqué la page titre du Journal de Québec, chose que j'évite la plupart du temps. Le titre associait deux mots: Bulletins et chaos, et plusieurs émotions :«grand drame, crise de la culture, anxiété, confusion». Inquiet de voir exprimé toute l'ampleur du drame québécois en si peu de mots, je laissai là mon étude des stoïciens pour me laisser aller dans ce qu'on pourrait appeler le pathos québécois, c'est-à-dire dans l'obsession compulsive du modèle.

Je m'explique.

Depuis nos Lumières à nous, la Révolution Tranquille, on assiste périodiquement à des mouvements idéologiques qui visent à justifier la fondation du Québec en tant que culture distincte. On a eu droit à l'éloquence de René Lévesque, à la dissidence du FLQ et du mouvement syndical, à l'avant-gardisme de Parti Pris, le Refus Global, alouette. Tout ça est très enlevant; des histoires de meurtres, de bombes, de scandales, de politiciens tordus, de combats, mais surtout une longue histoire de défaites, d'échecs où, une fois après l'autre, on constate le besoin criant et pathétique d'une communauté d'individus qui soignent leur manque de courage et qui cachent leurs esprits de guetto derrière des modèles adaptés et empruntés à une soi-disante conception de ce que devrait être le Québec.
Peu à peu, on remarque que le modèle québécois de société est inadéquat. Pour preuves, le débat sur les accommodements raisonables et le simple fait que l'intérêt pour le Parti Québécois, qui est le symbole d'une société naissante mais aussi l'incarnation d'un mythe de fondation, semble augmenter dès que les «valeurs communes» du québécois moyen deviennent confusent. Prenez assez de temps pour polémiquer un peu au sujet des valeurs «souches» et le nationalisme québécois augmente proportionnellement avec chaque argument en faveur de la faiblesse du «modèle». Nonobstant les preuves historiques de la force de la culture québécoise ;Trois invasions, deux frontières anglophones et 400 ans d'histoire, toujours en français, on semble encore croire que la disparition de la langue est imminente, qu'on complote contre la société québécoise et qu'en fait, Lord Durham est encore bien vivant et qu'il s'incarne dans le Coast to Coast canadien. C'est non seulement complètement irrationnel que le québécois se sente en danger d'extinction, c'est pathologique. Ce qui donne un sens à la culture québécoise, c'est la peur de ne pas être ce qu'elle prétend être. Dans cette perspective, est-ce surprenant qu'on retrouve du réconfort à se comparer à un modèle ou à un autre?

Il faut comprendre «modèle» et «comparaison» dans leurs sens symboliques, voire psychanalytique. Au modèle, on peut substituer à peu près n'importe quel système, fût-il celui de la santé ou celui de l'éducation. Et encore, «Système» s'entend aussi dans son sens presque Jungien puisque le mot «système» fait aujourd'hui office d'archétype ou de modèle primordial auquel on accorde notre confiance puisqu'il nous donne une explication du monde qui nous garantit que si on agit en accord avec le «bon» système, on agit bien. Enfin...

Or, pour le québécois, la «comparaison» avec l'archétype «Sytème», constitue un mécanisme de défense contre l'angoisse que suscite notre crise d'identité: La peur de ne pas être ce qu'on prétend être. Si le système est critiqué ou si le modèle est remis en question, le mécanisme de comparaison cesse d'être efficace et en conséquence, on se met à prêcher pour la survie de notre modèle québécois.

Dès lors, on se retrouve dans des commissions sur les accommodements raisonables, les rumeurs d'élections, les changement de chefs du Parti Québécois, le populisme médiocre de l'ADQ et, bien évidemment, le drame des bulletins des petits québécois!

En fait, je n'y vois pas vraiment la volonté d'y voir plus clair. J'y vois surtout, encore, la mise en branle d'une multitude de mécanismes visant à éviter de voir les choses en face: nous avons peurs, nous sommes faibles, nous sommes des poltrons, nous vivons une névrose collective. De notre promesse de pluralisme jusqu'aux bulletins scolaires, rien ne fait notre affaire, nous nous sommes trompés, nous nous trompons quotidiennement, trop hypocrites pour admettre que le Québec moderne est un échec.

Il ne s'agit pas simplement de faire un retour sur soi, une autre épreuve d'introspection ou de passer au aveu, ce qui serait analogue à retourner vers le Québec catholique du XXème siècle. En fait, je crois que nous devons nous inspirer des demandes des différentes cultures dont nous sommes les hôtes. En nous demandant de leurs accommoder des espaces de pratiques culturelles, les cultures d'adoptions ne constituent pas vraiment un dérangement. En soi, elles ne veulent pas déranger, l'agacement relatif aux accommodements vient de notre part. En fait, les cultures étrangères font ce qu'elle font beaucoup mieux que le Québec: elles s'affirment, elles s'auto-réalisent, elles incarnent leurs propre sens. En d'autres termes, elles sont fortes, elles sont vivantes et cette vie, cette énergie, devrait au contraire dynamiser un Québec léthargique et affaiblit. Il ne s'agit pas de tolérance. Nous sommes tolérants par crainte d'affirmation. En effet, que nous arriverait-il si, en devenant ce qu'on est, nous cessions d'être ce qu'on que le Québec devrait être? C'est une tolérance issue de la peur et pratiquée par des poltrons et, en soi, c'est l'aveu muet d'un manque flagrant de courage.

Quel est le rapport des bulletins?

Vous êtes un parent. Vous avez la responsabilité de vérifier que votre enfant acquiert les connaissances qui lui seront nécessaires afin de participer à la société québécoise. Fier de votre maturité, vous maîtrisez d'ores et déjà le «modèle» québécois que vous «comparez» au «Système» qui vous apparaît le meilleurs. C'est normal, vous êtes un adulte, vous êtes responsable. Vous savez que vos choix sont les meilleurs puisqu'ils son en accord avec le «modèle» qui est lui-même garantit par le «Système». Maintenant, il s'agit d'évaluer si votre enfant que vous aimez tant, est lui-aussi en accord avec le «modèle». Vous parcourez son bulletin et, horreur! Les notes échappent à votre jugement! Comment alors juger du développement «normal» de votre progénitures? Vous prenez le téléphone et appelez immédiatement le professeur afin d'y voir plus clair. Le bulletin est illisible, incompréhensible. Il ne représente rien, son existence suffit à être une insulte à ce que vous jugez être bien et raisonable. Vous faites des pressions sur votre député qui, incidemment, est aussi un parent. D'autres voix parentales se joignent à la vôtre, on créer une commission, le dossier avance, on fait une refonte du bulletin. Vous allez les avoirs, vous allez faire changer les choses! Bravo!

Pendant ce temps, votre enfant ne peut jouir et profiter de votre expérience du monde. Pourquoi?

Parce que vous refusez d'admettre qu'en fait, vous pourriez comprendre le bulletin mais que l'effort de pensée que cette compréhension représente vous forcerait à être critique face à votre propre univers, face à vos idées reçues. En retour, le doute s'installerait, vous devriiez changer vos façon d'être au quotidien. Ce que vous croyiiez être le bon modèle s'effriterait, perdrait de son sens. Vous seriez forcer d'admettre que, toute votre vie, vous vous êtes trompé et que votre comportement doit changer en conséquence.

Amèrement trompé.

Que vous avez trompé vos enfants et ceux des autres et qu'en fait, votre vie est un échec.

Or, au lieu de vous dire:«bah, qu'à cela ne tienne, j'aime la vie, je suis fort, endurcie, je vais recommencer parce que ainsi vont les choses!» et, dans un grand rire tragique, renverser la vapeur même si c'est pour disparaître, vous allez avoir la chienne et ramper dans votre garde-robe, sous votre douillette en suivant une commission d'étude qui devrait tout remettre comme c'était avant.

Moumounes.



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